Les riches donateurs sont de plus en plus nombreux et généreux. Soucieux d’efficacité, ils veulent s’assurer de l’impact réel de leurs dons : un acte philanthropique doit rechercher la performance, au même titre qu’un investissement.
L’apparition de nouveaux modes d’actions : « la venture philanthropy »
Ces dernières années, le contexte économique a été favorable à l’émergence et l’affirmation d’une philanthropie des grosses fortunes, notamment dans le monde anglo-saxon. Cette explosion s'accompagne de l'apparition de nouveaux modes d'action et de nouveaux acteurs.
L'usage traditionnel qui consiste à aider des oeuvres ou à créer des fondations en fin de vie, voire post mortem, reste prédominant, néanmoins il ne représente plus un modèle unique. Un nombre croissant de donateurs souhaitent participer de leur vivant aux opérations avec le désir d’intégrer un volet charitable à l’organisation du patrimoine. Souvent enrichis à un âge relativement jeune, ces nouveaux riches nés de la « Net Economie » ou de brillantes start-up technologiques entendent faire valoir leurs compétences d'hommes d'affaires, quand ils ne considèrent pas leur engagement philanthropique comme une seconde carrière.
Ces entrepreneurs veulent gérer leur fondation comme ils pilotent leur entreprise. Recherche de productivité, traçabilité des dons, processus… font partie de leur vocabulaire, y compris dans la gestion de leur fondation. Les experts parlent volontiers de « philanthropie stratégique » ou de « venture philanthropy » pour illustrer cette volonté d’utiliser au mieux les fonds et de maximiser le rendement social, appelé le «leverage», en concentrant les ressources autour de projets susceptibles de déboucher sur des résultats performants.
Bill Gates, qui s’est délaissé de 85% de sa fortune personnelle pour se consacrer désormais à sa fondation, en est le modèle illustre. L’homme le plus riche du monde a créé la plus grande institution philanthropique existante : la Fondation Bill et Melinda Gates. Celle-ci dépense chaque année plus que l’Organisation Mondiale de la Santé et dispose désormais d’un capital supérieur à 60 milliards de dollars.
Une exception dans le gigantisme, mais pas dans l’esprit commun à nombre de « charities » américaines de ce type. Aux Etats-Unis, la fiscalité favorise de longue date les fondations à but humanitaire et caritatif (voir chapitre 2). Et les Américains leur confient volontiers les tâches que ne remplit pas un Etat conçu à taille limitée. L’ampleur des dons consentis outre-Atlantique est considérable : en 2006, près de 300 milliards de dollars ont ainsi irrigué le secteur non lucratif, soit quelque 2% du PIB des Etats-Unis. Des dons volontiers affichés par leurs auteurs, classés par certains journaux au hit-parade de la générosité.
Les motivations à l’engagement philanthropique : typologie des donateurs
Les études réalisées outre Atlantique7 ont permis d'établir que ces donateurs obéissent en fait à sept motivations, à partir desquelles on peut dresser une typologie (bien qu'une personne donnée relève sans doute de plusieurs groupes).
- En tête, arrivent les « communautaires » (26% des philanthropes) : ils cherchent avant tout à aider leurs concitoyens, au niveau local, par des actions sociales de proximité.
- Les « fervents » (21%) sont animés de motivations religieuses ou spirituelles.
- Les « investisseurs » (15%) sont intéressés avant tout par les avantages fiscaux.
- Les « mondains » (11%) cherchent à s'occuper par l'organisation d'événements caritatifs.
- Les « reconnaissants » (10%) sont d'anciens bénéficiaires qui veulent rendre à la société le gain reçu.
- Les « altruistes », donateurs véritablement désintéressés, ne représentent que 9%.
- Les « dynastiques » (8%) pour lesquels la philanthropie relève de la tradition familiale.
Il est probable que ces "sept familles" se retrouvent, avec des proportions différentes, dans tous les pays. Mais, quel que soit le profil et l’origine du donateur, on observe finalement deux grandes tendances :
- Plutôt que de donner en fin de vie à des structures établies, les philanthropes souhaitent créer leur propre fondation pour mieux contrôler l’affectation et l’impact des sommes données.
- La « culture du résultat » est prédominante et anime tous les
acteurs du secteur confondus (donateurs, conseils, et
organisations caritatives).
Ces deux tendances sont liées : les donateurs sont légitimement soucieux du bon usage de leurs fonds, mais la traduction desaspirations dans les faits reste compliquée. La période actuelle est malheureusement propice aux actions caritatives et les bonnes causes ne sont pas difficiles à trouver. Mais cela pose en fait un problème, car les donateurs potentiels sont confrontés à pléthore d'opportunités entre lesquelles il est malaisé de choisir. De plus, la mise en place d'une structure dédiée et sa gestion sont des tâches complexes sur le plan juridique, fiscal et organisationnel. En effet, créer une fondation n’est pas simple. Les mécènes qui doivent affecter un patrimoine conséquent, ont souvent besoin d’être
accompagnés dans leurs choix philanthropiques et surtout dans le travail et le développement de leur fondation. C'est là qu'interviennent les spécialistes du conseil en gestion patrimoniale.
La philanthropie se professionnalise, devient plus stratégique, exige un impact clair et des sources d’information indépendantes, car les donateurs veulent des résultats tangibles, en plus des motivations qui nourrissent leur choix.
Quels sont les différents niveaux de services offerts par les conseillers et quels en sont les bénéfices ?
Une demande en hausse, un marché en structuration
Anticipant cette tendance, trois institutions8 qui cherchent à promouvoir une philanthropie plus stratégique, ont rassemblé leurs ressources pour entreprendre des recherches sur le rôle des conseillers traditionnels auprès de leurs clients grands donateurs en Europe.
Un premier rapport commandité à Scorpio Partnership9 en juin 2007 mené auprès de 34 familles britanniques, allemandes et suisses disposant d'au moins 100 millions de dollars, avait pour objectif de mieux connaître leurs profils et leurs besoins. Un des résultats les plus frappants observait que 90 % d’entre eux avaient reconnu un besoin de conseils en philanthropie, mais ne pensaient pas que les conseillers en gestion patrimoniale traditionnels puissent satisfaire ce besoin.
Fort de ce constat, un second rapport10 à été diligenté courant 2008 afin de mieux cerner la capacité des conseillers en question à répondre aux attentes des clients en matière de philanthropie.
L’étude11 confirme sans ambiguïté que la philanthropie a le vent en poupe en Europe et qu’elle devient un élément important du conseil à la clientèle privée fortunée. Parmi dix spécialistes européens qui conseillent les privés – du banquiers au comptable en passant par le family officer, l’avocat et l’investisseur socialement responsable –, six d’entre eux affirment que la philanthropie effectuera un bond important dans les cinq prochaines années, nourrie par un croisement entre augmentation de la richesse, changements fiscaux et une plus grande conscience sociale.
Des banques privées ainsi que des Multi Family Office (MFO) ont déjà montré la voie dans ce domaine en offrant une large gamme de services à des clients fortunés intéressés par la philanthropie. Mais la majorité ne saisit pas les opportunités de satisfaire les besoins de ses clients. Ainsi, même lorsqu’elle existe, cette offre semble souvent mal connue de la part des clients de la gestion de fortune. De plus, les conseillers en gestion patrimoniale, notamment par manque de formation ou de soutien, ne se sentent pas toujours aptes à apporter à leurs clients les conseils nécessaires en philanthropie.
Ces conseillers travaillent de manière plutôt réactive ou ad-hoc et orientent leurs services vers la première partie du processus de donation en mettant l’accent sur le véhicule, la gouvernance et le traitement fiscal. Peu nombreux sont ceux qui conseillent leur client sur l’identification des organisations bénéficiaires, le suivi et l’évaluation des impacts.
Le rapport révèle ainsi qu’il est nécessaire que les conseillers en gestion patrimoniale soient mieux formés, qu’il y ait plus de marketing proactif et des incitations aux activités philanthropiques afin que les clients puissent sentir qu’ils ont accès aux services en philanthropie dont ils ont besoin. Il est nécessaire d’instaurer un plus grand partage des connaissances afin de développer de meilleures pratiques.
A cet égard, l’étude constate également une volonté grandissante de la
part des conseillers en gestion patrimoniale de s’assurer les services
de spécialistes quand il s’agit de conseiller des clients sur des
aspects de la philanthropie qui vont au-delà de leur domaine de
compétence. La grande majorité des conseillers qui ont pris part à cette
enquête ont indiqué que leurs services philanthropiques reposent sur
une combinaison d’expertises interne et externe.
Autrement dit, les conseillers traditionnels n’ont pas besoin de fournir des solutions philanthropiques de bout en bout. Ils peuvent aussi s’appuyer sur des experts externes existant sur le marché qui sont des conseillers en philanthropie ayant les ressources et l’expertise suffisantes pour se concentrer sur des affaires plus stratégiques relatives à la sélection et à l’introduction à des causes, au contrôle continu et à l’évaluation des projets philanthropiques. Ce travail de sélection, d’ingénierie et de suivi nécessite en fait des compétences particulières dans trois domaines distincts : l'intérêt général, la gestion financière et le droit fiscal notamment… de sérieuses qualifications dont tous les conseillers professionnels ne disposent pas. C'est un métier en soi, qui commence seulement à s'organiser en Europe.
Ces exemples, ainsi que d’autres témoignages, laissent penser que le
conseil en stratégie de mécénat et création de fondations devient un
service non négligeable et à haute valeur ajoutée que les Conseils ne
peuvent pas se permettre d’ignorer. En effet, les bénéfices liés à une
offre en services philanthropiques sont solides et dépassent la seule
perspective d’augmentation de revenus : c’est un moyen d’approfondir les
relations de clientèle sur le long terme et d’augmenter les chances de
recommandations de la part de clients.
Conclusion :
Un regain pour la philanthropie et un intérêt croissant pour les
fondations dans le monde : quelle place pour la fondation de droit
français ?
Au cours des deux dernières décennies, les attentes nouvelles des donateurs et le nombre sans cesse croissant d’organisations sur le terrain ont profondément modifié le secteur de la philanthropie, dans sa conception de même que dans sa pratique. Si les motivations qui nourrissent la philanthropie restent les mêmes, il y a aussi une reconnaissance croissante de l’utilité des fondations et l’apparition d’une nouvelle économie durable, l’économie du don.
Cette mutation s’accompagne de l’émergence de nouveaux types de mécènes :
plus jeunes, soucieux de résultats et qui envisagent le don comme un
investissement. Ces nouveaux philanthropes se distinguent par leur forte
exigence en termes de professionnalisme et leur approche commerciale.
Dans un futur proche, nous verrons cette tendance à la
professionnalisation d’une philanthropie plus stratégique se renforcer :
impact clair, sources d’information indépendantes, échanges entre
donateurs ou implication personnelle.
Les donateurs veulent que générosité puisse rimer avec vraies
opportunités. Ils ne veulent plus soutenir un problème, mais financer
des solutions en se donnant les moyens d’être accompagnés dans cette
démarche par des experts indépendants qui leur permettent de mieux
comprendre les enjeux et de garantir l’impact de leurs dons.
Le conseil en stratégie philanthropique et création de fondations est ainsi devenu un service non négligeable à haute valeur ajoutée offert à la clientèle fortunée. Le développement du mécénat* leur offre ainsi de réelles opportunités, surtout dans des pays comme la France où la recherche de la défiscalisation reste une motivation majeure.
Le contexte juridique et fiscal joue en effet un rôle déterminant pour
confirmer et accélérer le passage à l’acte des donateurs. Sur ce point
en particulier, les fondations étrangères ont des atouts que n'a pas a
priori la fondation telle qu'appréhendée par le droit français.
En ce sens, il apparaît légitime de s’interroger sur la compétitivité et
l’avenir du modèle français des fondations, et plus largement, sur le
rôle patrimonial de ces structures qui peuvent constituer une solution
particulièrement intéressante pour ces donateurs qui souhaitent intégrer
un volet charitable à l’organisation de leur patrimoine.
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7. « Social Welfare Research Institute » Boston College
8. New Philanthropy Capital en Angleterre, la Fondation Bertelsmann en Allemagne et Wise en Suisse ont mandaté Scorpio Partnership, consultant stratégique dans le secteur de la gestion patrimoniale, pour diriger ces recherches en Europe.
9. « La philanthropie des grands donateurs et des family offices en Europe », juin 2007.
10. « Le Rôle des conseillers traditionnels dans l’offre de services philanthropiques pour leurs clients HNWI », octobre 2008.
11. WISE est l’auteur et le propriétaire de cette étude dont est tirée la présente analyse