Première partie

 CERNER LES ENJEUX DE LA NOUVELLE PHILANTHROPIE EN GESTION DE FORTUNE

1.1. L’économie du don et la professionnalisation de l’acte philanthropique

1.1.1. Un secteur en développement : la philanthropie bouleverse l’ordre économique mondial

La création importante de richesses à l’échelle mondiale et la reconnaissance croissante de l’utilité des fondations ont favorisé l’émergence d’une nouvelle philanthropie.


Le marché de la philanthropie, très convoité, est en plein essor malgré des disparités notoires


La philanthropie représente aujourd’hui un secteur en pleine croissance, doté d’énormes ressources financières. Les signes de cet engouement ne manquent pas. Les fondations charitables se sont multipliées ces dernières années dans le monde. Selon une étude réalisée par l'hebdomadaire britannique « The Economist1 », aux Etats-Unis leur nombre est passé de 22 000 au début des années 1980 à plus de 65 000 actuellement.


Les donateurs se montrent aussi de plus en plus généreux. Un rapport publié en juin 2007 par la banque Merrill Lynch et la société de conseil Cap Gemini2 assure que les philanthropes HNWI* (High Net Worth Individuals) dotés d'un patrimoine de plus d'un million de dollars ont donné en moyenne plus de 8% de leur avoirs à des oeuvres de charité en 2006. Ce pourcentage passe à 15% pour les détenteurs d’une fortune comprise entre $5 et $20 millions, pour atteindre 39% pour les UHNWI* (Ultra High Net Worth Individuals) affichant un patrimoine financier supérieur à $30 millions en moyenne. Des proportions jamais atteintes par le passé. Autrement dit, plus le patrimoine est important plus la propension à donner est élevée. Néanmoins, la philanthropie ne se limite pas au Top 10 ou 20 des plus riches de la planète : au contraire, elle se diffuse de plus en plus avec, il est vrai, d'importantes différences selon les pays.


On constate d’importantes disparités géographiques. Chaque zone économique présente en effet un contexte culturel propre et un cadre de régulation sociale particulier. Les comparaisons s’avèrent par conséquent difficiles. Si le contexte anglo-saxon retient le principe de subsidiarité de l’Etat, qui laisse la part belle aux initiatives privées, l’Europe continentale présente généralement un cadre fiscal plus redistributif où le rôle des fondations d’utilité publique n’est pas le même. Cet élan philanthropique a toutefois fini par séduire jusqu’aux pays traditionnellement étatiste d’Europe.
En France notamment, nous avons assisté à une mutation de société : les pouvoirs publics se sont non seulement décidés à donner un surcroît de légitimité aux fondations, mais ils ont également encouragé leur multiplication en simplifiant leur création et en les rendant plus attrayantes sur le plan fiscal. Le mouvement a été continental. Des réformes législatives diverses ont été introduites à partir de 2000 dans les principaux pays du continent, du Royaume-Uni à l'Allemagne, en passant par l'Italie et l'Espagne. Avec, partout, un même effet : un développement rapide du secteur.

 

Ce mouvement n’en serait qu’à ses débuts et les entreprises n’échappent pas à la tendance

 

Selon les perspectives annoncées par le « Social Welfare Research Institute » (SWRI) de Boston College3, le plus grand transfert intergénérationnel de richesses de l'histoire se déroulera sur ces cinquante prochaines années, avec la disparition des personnes nées dans l'immédiat après-guerre. Ainsi, près de 41 000 milliards de dollars vont changer de mains d'ici 2050 dont au moins 6.000 milliards devraient venir alimenter le « tiers secteur » des organisations caritatives. Si les prévisions du SWRI s’avèrent fondées, la philanthropie deviendra non seulement une force globale au XXIe siècle, mais elle s’affirmera également sur la scèneinternationale. 

 

 


 

 Plus les individus sont fortunés,
Plus leurs donations sont généreuses

 

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Les entreprises non plus n’échappent pas à la tendance. De tout
temps, celles-ci ont cherché à soigner leur image. Aujourd’hui, la réputation est reconnue comme une composante essentielle de la valeur d’une société. En effet, les intangibles (la différence entre capitalisation boursière et valeur comptable) constituent souvent plus de la moitié de la valeur boursière d’une entreprise. Ainsi, la politique philanthropique des grandes firmes s’inscrit aujourd’hui dans un contexte de « stakeholder value », où la communauté devient une partie prenante jugée significative.

 

La philanthropie d’entreprise n’échappe donc pas aux évolutions qui touchent les autres acteurs de ce marché. Elle devient plus stratégique, plus proactive, plus ciblée, et recherche également des synergies, notamment en termes de partage de compétences. Certaines sociétés donnent par exemple la possibilité à leurs employés de réaliser du bénévolat sur leur temps de travail. D’autres élaborent des partenariats avec des ONG pour crédibiliser leur démarche.

 

Ici encore, les pratiques anglo-saxonnes se différencient du monde européen. Les budgets dédiés à la communauté sont souvent plus importants aux Etats-Unis, et la démarche amplement médiatisée. Au Royaume-Uni également, les entreprises publient les montants alloués à des fins philanthropiques : celles qui versent plus d’un pour cent de leurs bénéfices avant impôts font partie du « Percent Club ».

 

Si la France compte aujourd’hui quelques 2 400 fondations, dont plus de 150 à l’initiative d’entreprises4, elle fait pâle figure comparée aux Etats-Unis (65 000 fondations dont 2500 à l’initiative d’entreprises) ou à l’Allemagne (15 000 fondations, 1 500 créées par des entreprises). Moins nombreuses, les fondations des sociétés françaises brassent moins d’argent et rares sont celles, telles Carrefour, qui ont acquis une dimension internationale. Elles doivent aussi se professionnaliser. D’autant que les entreprises, notamment familiales, devraient découvrir une nouvelle vertu aux fondations : depuis 2005, certaines peuvent détenir des actions d’une société commerciale provenant d’une cession ou d’une transmission5. Cette disposition pourrait susciter l’émergence de grandes fondations entrepreneuriales et familiales à l’exemple de Pierre Fabre6 qui a cédé en septembre 2008 la majorité de ses titres à la fondation qu’il avait créé en 1999 pour en faire un actionnaire majoritaire de son groupe et en pérenniser l’indépendance. Faute d’héritiers directs, le fondateur et patron des laboratoires français, assure ainsi sa succession tant en termes capitalistique que de management : le transfert lui permet d’éviter justement qu’après sa disparition l’affaire ne soit vendue.

 

Améliorer son image, rassembler ses collaborateurs et en prime, sécuriser son actionnariat… La fondation serait-elle l’avenir du business ?

 

La philanthropie se mondialise

 

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  Source: Guardian (mars 2006), The Economist (février 2006)

 

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1. « The Business of Giving », a survey of wealth and philanthropy - The Economist, 25 février 2006.
2. « 11ème World Wealth Report 2006 » de la Banque Merrill Lynch et la société de conseil Cap Gemini publié le 27 juin 2007.

3. « Why the $41 trillion wealth transfer estimate is still valid : a review of challenges and questions », SWRI Boston College, 6 janvier 2003.

4. D’après la deuxième enquête nationale sur les fondations françaises en 2007 menée par Observatoire de la Fondation de France et publiée en avril 2008.

5. Cf. Annexe 1 : Article 29 de la Loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.
6. « Pierre Fabre, 1er groupe français à passer sous le contrôle d'une fondation », Les Echos - 1er sept. 2008. 

 

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