2.2.1. La donation des titres, puis création d’une holding de reprise par l’enfant repreneur

On va faire ici deux hypothèses supplémentaires :

  • Pendant les premières années, Monsieur Durand souhaite rester dans ses fonctions de dirigeant, avant de transmettre le relais à son fils Jean.
  • De plus, il souhaite transformer une partie de ses titres en capital, afin de mettre en place en amont des supports d’investissement pour une future retraite. Son patrimoine personnel est insuffisant pour faire face à ses besoins futurs.
    Première Etape


En 2008, Monsieur Durand effectue une première donation-partage à ses deux enfants :

 

  • Jean reçoit 100 titres de la société Ciblex, sur lesquels il souscrit un ECI, et donc des DMTG réduits à zéro après réduction de la base imposable de 75%, et abattement.
  • Georges qui n’est pas encore trop fixé sur son avenir reçoit également 100 titres et accepte de signer un ECI pour 4 ans.

 

Au total, le coût fiscal total de la donation après les différents abattements est nul.
A ce stade, la majeure partie des titres est toujours détenue par Monsieur Durand, qui continue à bénéficier de l’exonération d’ISF au titre de biens professionnels sur sa participation. Une partie des titres de la société a été transmise aux enfants sans aucun frottement fiscal. Un nouvel engagement collectif est souscrit sur 600 des 800 titres détenus par Monsieur Durand.
 
Deuxième étape
En 2014, la situation a changé, Monsieur Durand souhaite transmettre la direction de son entreprise à Jean tout en réalisant un capital pour assurer son train de vie :

 

  • Les enfants bénéficient à nouveau d’un abattement de 151950 € chacun.
  • Les titres détenus par Monsieur Durand bénéficient d’une exonération d’imposition, hors PS sur la PV, du fait du régime d’exonération lié à la durée de détention.
  • Monsieur Durand effectue une seconde donation partage en pleine propriété de 300 titres Ciblex pour chacun de ses enfants.
  • Georges qui sait maintenant qu’il ne travaillera pas dans la société souhaite récupérer des liquidités pour ses projets personnels. Il accepte de signer un ECI, mais seulement sur les deux tiers des 300 titres reçus : Il paiera donc 29 139 € de DMTG sur les 200 titres qu’il conservera encore 4 ans, et profitera de l’abattement de 151 950 € sur les  titres non conservés (zéro DMTG). L’ECI sur les 100 premiers titres reçus en 2008 est arrivé à maturité : il peut vendre 200 titres sans aucune fiscalité, soit un net disponible de 1 200 000 €.
  • Jean lui va payer 28 944 € de DMTG sur la donation de 300 parts.

 

Si Jean rachète directement ses 200 titres à Monsieur Durand ainsi que les 200 titres de Georges en contractant un emprunt, il pourra déduire de son impôt sur le revenu 25% des intérêts de reprise mais dans la limite de 20 000 € . Or le coût d’un emprunt de 2 400 000 € à 5% sur 10 ans est de 740 000 €, soit 74 000 € d’intérêts annuels. Le schéma est de créer une Holding de reprise, New Co au capital de 6 millions d’Euros. Jean apporte ses 400 titres de Ciblex et recoit en échange 670 parts de New Co d’une valeur faciale de 6 000 € et Georges accepte d’apporter ses 200 titres, en échange de 330 parts dans la Holding. À ce stade, il n’est pas question de sursis d’imposition puisque la valeur des parts apportées correspond à la valeur des parts au moment de la donation. L’apport par les enfants de titres sociaux à la société holding est exonéré de droits d’enregistrement et de droit fixe . Cette Holding de reprise va racheter les 200 parts de Monsieur Durand et les 200 parts sur les 300 parts détenues par Georges, en contractant un emprunt de 2 400 000 €. Cet emprunt va être remboursé par les dividendes qui remontent de la société Ciblex vers la Holding de reprise. Si on part sur une base de rentabilité de 6% de la société, le schéma fonctionne avec un emprunt sur 10 ans.


La répartition du capital est la suivante : la Holding New Co détient 100% des actions de Ciblex. Elle est elle-même détenue à 67% par Jean, qui est donc majoritaire (alors qu’en direct, il ne détient pour l’instant que 40% des actions Ciblex) et à 33% par Georges, actionnaire minoritaire.


Monsieur Durand va récupérer 1 200 000 € sur lesquels seront prélevés 12.1% de PS. Il lui restera 1 054 800 € à investir dans des supports pour compléter sa retraite.


Une solution aurait pu être pour Jean de racheter immédiatement via la NewCo l’ensemble des titres de Georges. Mais d’une part, il semble assez peu probable que la banque accepte de prêter 3 600 000 €, c’est-à-dire plus de la moitié de la valeur de la société Ciblex. D’autre part, le fait de rester actionnaire de Ciblex via la Holding présente pour Georges certains avantages. Il ne doit que 29 139 € de DMTG au lieu de 239 683 sans EC, soit un gain de 800% par rapport à une revente immédiate sans pacte Dutreil. Et ses DMTG comme ceux payés par Jean vont pouvoir bénéficier d’un paiement différé et fractionné à taux réduit de 2/3 (les conditions sont réunies) tant qu’il ne revend pas ses titres.


De plus, Georges par la cession des 200 titres Ciblex est déjà au-dessus du seuil de 770 000 € pour l’ISF. Il pourrait bénéficier d’une exonération d’ISF de 75% sur la valeur des titres apportés à New Co s’il souscrivait avec son frère un engagement Dutreil-ISF13; portant sur les parts de Ciblex, les conditions étant réunies. En cas d’interposition15 de société, l’engagement doit être également contracté par New Co, société détentrice des titres Ciblex qui font l’objet du pacte Dutreil ISF.


Depuis la loi de Finances 2008, la durée de l’engagement collectif Dutreil-ISF a été réduite de 2 à 6 ans, le délai minimum de détention exigé étant toujours de 6 ans. La réalisation d’opérations de restructuration pendant la période de conservation des titres ne remet plus en cause l’exonération partielle d’ISF accordée à condition que les titres reçus en contrepartie de ces opérations soient conservés par le redevable au total pendant 6 ans et ce même si la condition relative au seuil de détention n’est plus respectée. C’est le cas pour Georges qui a apporté ses titres Ciblex en échange de titres New CO. Donc, tant qu’il ne vend pas ses titres avant 2020 il bénéficie d’un abattement de 75% sur 1200 000 € au titre de l’ISF. Et en tenant compte du passif lié aux droits de mutation, il peut maintenir un niveau annuel d’ISF de 4 316 € contre 9 485 € sans l’exonération, ce qui sur 6 ans représente un gain de 31 014 €.


 

Patrimoine taxable sans EC pour Georges

Patrimoine Taxable avec EC

Gain final sur 6 ans

400 titres x 6000 € = 2 400 000 €

200 titres x 6000 + 200 titres x 6000 x 0.25% = 1 500 000 €

 

DMTG = 239 680 €

DMTG = 29 139 €

210 541 €

Patrimoine Net : 2 160 320 €

Patrimoine Net : 1 470 860 €

 

ISF annuel : 9 485 €

ISF annuel : 4 316 €

31 014 €

 


La réduction récente des délais d’engagement individuel du pacte Dutreil ISF est dans ce cas un atout pour l’acceptation par l’héritier-actionnaire minoritaire et futur sortant.

 

Le gain total ISF et DMTG est de 240 000 € sur six ans. Mais ce gain est à relativiser car en supposant que Georges puisse revendre ses parts dans 6 ans et récupérer 1 200 000 €, la rentabilité de l’opération aura été de 3.1% sur six ans. Pour inciter Georges à accompagner Jean, même en tant qu’actionnaire minoritaire, il faut d’autres arguments : on peut penser à mettre en place un pacte familial à durée limitée qui lui assurera certaines prérogatives. : droit de regard sur les résultats de la société, droit à un dividende prioritaire si la trésorerie le permet, éventuellement accord sur des modalités de sortie. Mais, surtout, son intérêt sera de participer à l’effet de levier de l’endettement, décrit plus bas. D’ici dix ans, la société aura rembourser son emprunt et pourra racheter les actions de Georges qui récupérera 33% de 6 millions soit 1 980 000 €. La rentabilité des 1 200 000 € correspond à un placement capitalisé à 6.035% sur 10 ans (gain total ISF, DMTG et PV), tout en contribuant à la pérennité de l’entreprise familiale.

 

Plusieurs remarques sur ce schéma :

La holding de reprise permet d’optimiser le financement de l’achat de titres en faisant jouer certains effets de levier. En effet, la holding de reprise peut opter pour un des régimes fiscaux suivants :

 

 

  • En cas d’option pour le régime de l’intégration fiscale, les charges financières générées par la dette d’acquisition contractée par New Co vont pouvoir s’imputer sur les bénéfices de Ciblex, ce qui réduit le coût du crédit de 33.33% . De plus, les dividendes versés par la société cible à la holding sont complétemeent exonérés, du fait de cette complète intégration fiscale. La compensation totale entre intérêts d’emprunt et bénéfices de Ciblex permet d’augmenter les dividendes qui vont remonter vers la Holding, de dégager plus de flux et de rembourser l’emprunt. Cette intégration fiscale est possible si la société holding de reprise détient directement ou indirectement de manière continue au moins 95% des droits sociaux, ce qui est le cas ici, avec un véritable changement de contrôle puisque l’ex-actionnaire dirigeant est définitivement sorti14.
  • S’il n’est pas possible d’opter pour le régime de l’intégration fiscale, dès lors que la société qui achète les titres de la société cible est elle-même assujettie à l’IS et que la prise de participation est d’au moins 5%, les remontées de dividendes de Ciblex vers la Holding animatrice sont exonérées d’IS à raison de 95% (régime mère -fille). La holding de reprise n’est taxée que sur la quote-part de frais et charges de 5%. Si Jean avait contacté un emprunt directement, les dividendes versés auraient subi une fiscalité de 30.1% ou 32.68% avant de rembourser l’emprunt. Dans ce schéma, les intérêts liés à la charge de la dette peuvent s’imputer sur les bénéfices non pas de Ciblex mais de la société holding. Il s’agit donc, pour ne pas créer un déficit fiscal structurel, de mettre en place des prestations de services fournies par la holding à la société cible, qui la rémunèrera pour cela : services de conseils juridiques, comptables, administratifs, c'est à dire de faire de New Co une holding animatrice (participe activement à la conduite de la politique et au contrôle des filiales, assure des services juridiques, comptables..). La charge financière de l’emprunt contracté par New Co pourra alors s’imputer sur ces recettes.
  • Dans notre schéma de transmission par une holding de reprise, l’option pour l’intégration fiscale est possible et à privilégier. Le coût de l’emprunt de 2 400 000 euros passe de 5% à 3.33%, ce qui permet toujours avec l’hypothèse d’une rentabilité de Ciblex de 6% de réduire la durée du prêt à huit ans. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire de faire de New Co une holding animatrice dans ce simple schéma de reprise d’une entreprise familiale. Au niveau de l’ISF, Jean peut bénéficier d’une exonération totale sur les titres New Co qu’il détient, même si sa rémunération est versée par la société Ciblex. L’article 885 0 quater du CGI nous dit qu’en principe “ne sont pas considérés comme biens professionnels les parts ou actions de société ayant pour activité principale la gestion de leur patrimoine mobilier ou immobilier”. En fait, l’exonération est admise soit dans le cas d’un seul degré d’interposition, soit dans le cas d’une holding animatrice. “Pour apprécier le seuil de détention de 25% pour l’exonération au titre de biens professionnels, on tient compte de la participation détenue par le redevable, au travers d’une autre société qui possède elle même une participation dans la société oû s’exercent les fonctions éligibles, mais seulement dans la limite d’un niveau d’interposition”. L’exonération est accordée à concurrence de la valeur réelle de l’actif brut de la société interposée New Co qui correspond à la participation qu’elle détient dans la société où le redevable exerce ses fonctions de direction. Jean bénéficiera complètement de l’exonération d’ISF sur les titres New Co puisque cette derniére a pour seul actif la société Ciblex, société qu’il dirige. A noter que le fait qu’il ait également souscrit avec son frère un pacte Dutreil-ISF n’a aucune incidence quant au régime d’exonération au titre de biens professionnels. Ainsi, dans le cas d’une PME familiale de la taille de Ciblex, la holding de reprise peut tout à fait être une simple holding passive dont l’activité est limitée à la détention des parts de Ciblex et au remboursement de l’emprunt.

 

 

La Holding Newco ne peut détenir que des parts de société de capitaux, donc si Ciblex avait été à l’origine une société de personnes, il faut la transformer en SA ou SAS. La mise en société d’une entreprise individuelle est exonérée de tout droit d’apport si l’opération est réalisée lors de la constitution de la société et si l’apporteur s’engage à conserver pendant au moins trois ans les titres recus en contrepartie de son apport ( CGI art 151 octies). Le choix de la forme juridique de la Holding de reprise se porterait plutôt pour la SAS pour la souplesse de ses statuts et les droits d’enregistrement des droits sociaux plafonnés à 5 000 €.

 

Schéma récapitulatif de l’opération

Au total, le poids fiscal de la transmission et d’une partie de la réalisation en capital de l’entreprise sera de 3.38% de sa valeur initiale.

 

 

Fiscalité en 2014

Capital dispo en 2014

Fiscalité à partir de 2020,  2021, 2022

Capital dispo à partir de 2018

ISF

Monsieur Durand

145 200 €

1 054 800 €

 

 

Fin de l’exonération

Georges

29 139 €

1 200 000 €

12% puis 6% puis 0% et PS de 12.1%     

Cession possible tous les ans de titres New Co à partir de 2018

Abattement de 75% tant que les titres sont conservés

Jean

28 944 €

 

 

 

Exonération

 

 

 

 



13 885 I bis du CGI
14 « L’amendement Charasse » a supprimé l’avantage procuré par l’intégration fiscale en présence d’opérations n’entraînant pas un réel changement de contrôle de la société cible (cas d’un OBO).
15 L’ISF et les Biens Professionnels, Serge Anouchian, L’Agefi Actifs, Avril 2006

 

 

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