2.1 La donation de la NP des titres de l’entreprise avec réserve d’usufruit

 

         2.1.1 Comment réduire la base taxable?


Un moyen de réduire l’assiette soumise aux droits de mutation en matière de transmission d’entreprise peut consister en une seule donation de la Nu propriété des titres aux héritiers, d’autant plus que le nouveau barème de l’article 669 du CGI a sensiblement revalorisé la valeur de l’Usufruit. Au décès du chef d’entreprise, l’Usufruit rejoindra la NP des parts sans droits de succession. La donation avec réserve d’usufruit permet ainsi au chef d’entreprise d’anticiper la transmission, tout en conservant un certain contrôle sur l’entreprise et en continuant à en percevoir les revenus sous la forme des bénéfices distribués. Étant entendu qu’il est toujours préférable envisager une donation-partage plutôt qu’une donation simple, pour figer la valeur transmise à chaque enfant. Ainsi, un enfant qui reprendrait seul l’entreprise n’aura pas à partager avec ses frères et sœurs la plus-value qu’il aurait personnellement apportée par son travail au moment de la succession.


Revenons à notre entreprise Ciblex : coût pour chaque enfant d’une transmission de la totalité des parts avec réserve d’usufruit pour Monsieur Durand (59 ans, valeur fiscale de la NP de 50% de la PP selon le barème 669 du CGI).

 

 

 

Valeur des parts transmises par enfant

Abattement

Droits avant réduction

Réductions de droits

Droits dus par enfant

Droits dus au total en % de la société

En PP

3 M€

151 950 €

955 664 €

0,5

477 832 €

15.92%

En NP

1,5 M€

151 950 €

374 366 €

0,35

131 028 €

4.36%

 

 

On a ainsi pu réduire la base imposable par le démembrement des parts sociales et faire passer le coût futur de la succession de 31.8% à 4.36% de la valeur de la société. On peut imaginer différentes situations, avec un démembrement qui ne portera que sur une partie des titres de la société, le chef d’entreprise se réservant le droit de transmettre à nouveau le reste en NP tous les six ans (notamment si celui-ci est encore à quelques années d’envisager une retraite). La donation peut comporter une clause de Quasi-Usufruit sur une partie des titres donnés, ce qui permettra à Monsieur Durand de bénéficier en toute indépendance des dividendes versés par Ciblex pour maintenir son train de vie.

Mais ces donations démembrées de parts sociales supposent quelques précautions. Dans le cas o l’opération a d’abord un but fiscal, le chef d’entreprise ne souhaitant pas passer la main tout de suite à ses héritiers, il va être nécessaire de mettre en place au moment de la donation une convention fixant la répartition des droits entre usufruitier et nu-propriétaire.

 2.1.2 La probématique du rapport Usufruitier/Nu Propriétaire en cas de démembrement des titres de l’entreprise

 

Ainsi que le souligne Laurent Grosclaude, “les problèmes que posent le démembrement ne sont pas de la même nature que ceux de l’indivision mais reposent sur une cause identique : l’obsolescence des règles civiles relatives à l’usufruit“.


De façon classique, le chef d’entreprise usufruitier aura droit aux dividendes, mais son droit de vote dans les assemblées générales est à priori limité à l’affectation des bénéfices, selon l’article 1844 du CC. Le véritable statut d’associé n’est en fait reconnu qu’au Nu propriétaire, qui bénéficie des distributions des réserves et du boni de liquidation. Ainsi, le chef d’entreprise, qui souhaitait au départ une progressivité du processus de transmission, peut craindre de perdre trop brutalement le contrôle, ce qui serait un frein psychologique à toute transmission anticipée. Plusieurs possibilités permettent au dirigeant de conserver le pouvoir, ainsi que les dividendes, tout en transmettant la majorité des titres, en PP ou en NP à ses héritiers.


Dans un arrêt du 22 février 2005, la Cour de Cassation a affirmé que “les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au Nu propriétaire, à condition qu’il ne soit pas dérogé aux droits du Nu propriétaire, de participer aux décisions collectives”. Ainsi, il serait possible de prévoir un aménagement quant à la répartition des pouvoirs entre usufruitiers et nu-propriétaires en cas de démembrement de titres de société : le droit de vote peut être librement aménagé au profit de l’Usufruitier, et ce dernier peut également transformer son usufruit en quasi-usufruit, pour s’assurer toute autonomie quant à l’utilisation des dividendes8. Seul le droit de participation aux décisions collectives ne peut jamais être enlevé au nu-propriétaire. Cela suppose bien sur une bonne entente entre les deux générations. Une situation à privilégier serait d’imaginer une convention sur l’exercice des droits démembrés qui sera aménagée au fur et à mesure de la transmission pour laisser plus de pouvoir à l’héritier nu-propriétaire futur repreneur. Effectivement, comme nous le verrons plus loin, l’exonération partielle offerte par le pacte Dutreil, en cas de démembrement de parts de la société, n’est valable que si les droits de vote de l’Usufruitier sont limités à l’affectation des bénéfices.
 
Un schéma envisageable dans le cas de la société Cibex :

  • Première donation partage de 30% (1 800 000 €) des parts par Monsieur Durand alors âgé de 53 ans, en démembrement de propriété, avec une convention de démembrement au profit de Monsieur D : la valeur de la NP est de 50%, soit 450 000 € par enfant, donc après abattement et réduction de droits, une fiscalité de 20 260 € par enfant.
  • Deuxième donation partage, six ans plus tard, à chaque enfant qui reçoit la NP des 70% de titres restants, soit une valeur de la NP de 1 050 000 € par enfant. Cette fois, le passage de relais étant avancé, il n’y a pas de convention de démembrement, le pacte Dutreil peut s’appliquer , et la base imposable est réduite de 75% soit 262 500 € et donc après abattement 7 135 € de DMTG par enfant. À ce stade 100% de la NP a été transmise aux deux héritiers, le chef d’entreprise a pu dans un premier temps conserver son pouvoir, puis dans un deuxième temps limitera son pouvoir à l’affectation des bénéfices, se versera des dividendes, les deux héritiers repreneurs se versant des salaires. Le coût total, au décès du dirigeant aura été de 54 791 € soit moins d’un pour cent de la valeur de l’entreprise.

 

Une autre possibilité pour conserver le contrôle au chef d’entreprise dans le cas d’une transmission anticipée du capital est l’utilisation des actions de préférence (ordonnance du 24 juin 2004). Ce sont des actions “avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent“ (C. Com art L.228-11). Le dirigeant peut d’abord décider en Assemblée Générale Extraordinaire de transformer une partie de ses actions en actions avec droits de vote renforcés, voir avec des droits “politiques“ : information renforcée, droit de contrôle spécifique, droit de veto... Le droit de vote conféré peut être double dans les SA et il peut être multiple dans les SAS. Les droits attachés aux actions de préférence peuvent autoriser une quote-part supérieure des bénéfices lors de chaque distribution, un dividende prélevé prioritairement sur les bénéfices distribuables après dotation de la réserve légale. Le chef d’entreprise peut commencer à transmettre la majorité de la NP des titres ordinaires, sur lesquels il limitera son pouvoir d’usufruitier à l’affectation du dividende sur ces titres, donc en bénéficiant de l’exonération Dutreil, tout en gardant le contrôle de sa société grâce à ses actions de préférence. Attention, s’il souhaite transformer les titres qui feront l’objet de la donation en actions de préférence sans droit de vote, ces dernières ne peuvent représenter plus de la moitié du capital pour les sociétés non cotées : toute émission qui aurait pour effet de porter la proportion au-delà de la moitié pourrait être annulée. Et dans ce cas, l’exonération partielle Dutreil en cas de donation démembrée semble difficilement applicable.


Une alternative au démembrement de propriété : transmettre en PP, sous pacte Dutreil, 49% des titres privés de leur droit de vote donc sans clause limitant le droit de vote de l’usufruitier à l’affectation des bénéfices. Il conserve 51% des titres auxquels sont attachés des avantages financiers et de contrôle. Avec la possibilité de conclure un nouvel Engagement Collectif de Conservation sur les 51% restant, lorsque Monsieur Durand souhaitera réellement se retirer. On ne bénéficie pas de l’avantage fiscal lié au démembrement de propriété, mais la situation du dirigeant d’entreprise est sûrement plus confortable.


Ce schéma est assez proche de celui qui consiste à transformer la société en SAS, avant toute donation-partage. Ce type de structure permet la dissociation recherchée entre pouvoir et capital. Dans une SAS le seul organe de direction est le président, qui peut être une personne physique ou morale. Le chef d’entreprise aménage dans un premier temps son statut de président en organisant son irrévocabilité à travers une clause imposant l’unanimité pour sa révocation, ou en s’octroyant un droit de veto. (Dans le cas d’une SARL, le dirigeant est révocable par décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales, dans le cas d’une SA classique, le Président est librement révocable par le Conseil d’Administration). Puis il effectue une donation-partage de la majorité de ses titres tout en conservant le pouvoir de gestion, bien qu’il soit devenu minoritaire. Les statuts de la SAS9; permettent même d’aménager pouvoir d’administration et pouvoir de direction, en cas de transmission familiale impliquant un héritier futur repreneur. Le chef d’entreprise est maintenu dans son rôle de président, avec le pouvoir d’administration : convocation des associés, arrêté des comptes, fixation de la politique de la société. L’héritier futur repreneur, nommé directeur général, gère “les opérations commerciales, industrielles, et certaines opérations financières“.


La loi LME du 4 août 2008 a simplifié les statuts de la SAS à compter du 1er janvier 2009. Elle supprime l’exigence d’un capital minimal pour les SAS (jusqu’à présent 37 000 €), le capital social est désormais fixé par les statuts. De plus, en dessous d’un total de bilan inférieur à 1 550 000 €, d’un montant du CA inférieur à 3 100 000 €, et moins de cinquante salariés la nomination d’un commissaire aux comptes (et donc son coût) n’est plus nécessaire. Cette structure sera maintenant à la portée des TPME et PME.

2.1.3 La question de l’ISF en cas de transmission démembrée des parts de la société

Rappelons que les parts détenues par Monsieur Durand dans Ciblex, société soumise à l’IS bénéficient de l’exonération d’ISF au titre de biens professionnels sous certaines conditions.
Or, les biens ou droits grevés d’un usufruit sont compris dans le patrimoine de l’usufruitier pour leurs valeurs en PP (885 G du CGI) et l’usufruitier sera donc redevable de l’ISF. En cas de transmission démembrée des parts de la société, tant que Monsieur Durand assume des fonctions de direction dont il retire une rémunération normale, il continuera à bénéficier de l’exonération d’ISF au titre de biens professionnel (le critère de détention de 25% du capital s'apprécie au niveau du groupe familial donc sera toujours respecté ici). Mais, à partir du moment où ses fils ont repris la direction, et lui ne reçoit plus que des dividendes en tant qu’usufruitier, que se passe-il, les dividendes n'étant pas considérés par l'Administration Fiscale comme une rémunération normale au sens des critères ISF. Pour remédier à ce frein à la transmission intrafamiliale, le CGI10; a posé comme principe que “le redevable qui transmet les parts d’une société avec constitution d’un usufruit peut retenir la qualification professionnelle pour ces titres, à hauteur de la quotité de la valeur en pleine propriété des titres ainsi démembrés correspondant à la nue-propriété". Monsieur Durand sera soumis à l’ISF seulement sur la valeur fiscale au sens du 669 CGI de son usufruit, les conditions suivantes étant remplies :
  • La NP est transmise à un ascendant, descendant, frère, sœur ou conjoint
  • Le NP satisfait les conditions relatives à l’exonération des biens professionnels
  • Dans le cas de transmission de parts sociales ou d'actions d'une société à responsabilité limitée, ou d'une société par actions, le redevable doit, soit détenir directement ou par l'intermédiaire de son groupe familial, en usufruit ou en pleine propriété, 25% au moins du capital de la société transmise (ou ces actions représentent au moins 50% de son patrimoine). Cette condition est respectée puisque la transmission est familiale.

 

Dans le cas de la société Ciblex, la valeur fiscale de l’Usufruit est de 3 000 000 €, l’ISF annuel, hors stratégie de bouclier fiscal, sera de 17 160 €.





8 Impacts et Stratégies Patrimoniaux de la transmission d’Entreprise, Laurent Grosclaude, Revue Droit et Patrimoine, n°148, Mai 2006
9 Transmission d’Entreprise, Les Guides de Gestion du Groupe Revue Fiduciaire, 2006
10 CGI, 885 O quinquies, loi du 1er août 2003

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